Vos idées sont pourries (pour l'instant)

· Point de vue

Dans un article très partagé sur les réseaux, Anadi Sahoo raconte l’anecdote suivante : en session de formation, l’intervenant pose une question aux participants : « Combien d’entre vous sont d’accord pour dire que posséder le savoir, c’est posséder le pouvoir ? ». Evidemment, tout le monde semble d’accord. Réponse de l’intervenant : « faux. Le savoir n’est pas le pouvoir. Seul le savoir appliqué constitue le vrai pouvoir ». Conclusion de Sahoo : peut importe ce que nous apprenons, le savoir théorique est inutile lorsqu’il n’est pas validé (ou invalidé) par la confrontation avec le terrain. C’est tout le sens de l’expérience.

En matière de créativité et d’innovation, il en va exactement de la même façon : une idée, aussi bonne soit-elle, ne vaut rien a priori. En tout cas pas avant d’avoir été confrontée à la réalité du terrain. C’est également aussi le sens du « ideas are shit, execution is the game » [les idées ne valent rien. Seul compte le passage à l’action] énoncé par le désormais célèbre serial entrepreneur et gourou de la Silicon Valley Gary V (alias Gary Vaynerchuk). En matière d’innovation, il arrive pourtant encore que le pouvoir d’attraction d’une idée soit tel qu’on en oublie parfois la réalité. L’histoire des flops industriels est remplie d’exemples où le consommateur final est totalement absent des réflexions (Google Glass, parfums Bic, etc.), les « idéateurs » étant attirés par la lumière de leur idée comme des papillons sur une lanterne. Même chose dans le monde des media où la réflexion sur les intérêts du lecteur et l’évolution des usages a longtemps été absente des réunions de rédaction (cf rapport stratégique du New York Times publié en début d’année).

"Ideas are shit. Execution is the game" - Gary V

L’expérience, un bien sous valorisé ? Dans ses travaux, le psychologue Mathieu Cassotti - avec lequel j’ai eu le plaisir d’intervenir - ne montre rien de moins. En s’intéressant aux solutions « innovantes » proposées face à un problème, son équipe s’est aperçu que les enfants n’étaient pas meilleurs innovateurs que des ingénieurs « seniors », au contraire. Un résultat qui casse une idée reçue selon laquelle les outsiders, à la pensée neuve (= les enfants), seraient de meilleurs fournisseurs d’idées. Selon Cassotti, c’est certes le cas mais malheureusement ces idées neuves sont souvent inopérantes…contrairement à celles des ingénieurs qui ont le mérite – sinon d’être très « out of the box » – de fonctionner !

L’étape d’après ? Le partage. Ce savoir renforcé par l’expérience n’est toujours pas grand-chose s’il n’est pas partagé. Qui partage, reçoit, et donc peut améliorer son expérience encore davantage grâce à celle des autres, et surtout le faire beaucoup plus vite qu’en expérimentant par lui-même. Pour Sahoo, c’est là le vrai pouvoir : celui de l’éducation.

Alexis Botaya, conférencier créativité et innovation