Devez-vous innover en répondant à un besoin, ou en le créant ?

Deux façons de faire, et une grosse confusion de langage : on ne parle pas du tout de la même chose. D'innovation, ces 2 approches n'ont que le nom de commun... L'une fait du neuf avec du vieux, l'autre prend les paris.

Tout le monde s’accordera : l'innovation est un élément clé du développement économique et social. Voilà, c’est posé. Elle permet de créer de nouveaux produits, services ou procédés qui répondent aux besoins des consommateurs ou des entreprises.

Attendez une minute... Vous avez dit « besoin » ? « Pourtant, ne dit-on pas que pour être innovant, il ne faut pas attendre l’expression d’un besoin, mais bien créer le besoin ? » Ce sont des remarques que j’entends souvent lorsque je donne une conférence innovation ou même parfois pendant une conférence créativité.

En fait, il existe une confusion très répandue dans le champ de l’innovation, une confusion due au fait qu’il existe deux approches très différentes de la chose : répondre à un besoin existant ou créer ce besoin.

L'innovation de rupture, c'est la roulette russe

Les grands paris qui ont mené à des innovations de rupture ne répondent souvent à aucune demande. Prenons l'exemple de la téléphonie mobile, d'Internet, des réseaux sociaux. À leur lancement, il n'y avait pas de demande précise pour ces produits. Si on demande aux consommateurs par anticipations, les réactions ne sont pas enthousiastes. Pourtant, ces innovations ont su créer leur besoin associé et donc la demande qui va avec. Les consommateurs ne savaient pas qu'ils avaient besoin de ces produits avant de les découvrir. Ce n’était d’ailleurs pas un besoin latent, c’est juste qu’une fois la découverte sous les yeux, il y avait immédiatement un « progrès »
visible, sensible, qui poussait à l’usage (ne rentrons pas dans la définition de « progrès »
ici).

Comme l’explique le professeur en stratégie d’entreprise PhilippeSilberzahn, Nespresso, qui a bouleversé le marché du café, n’a jamais répondu à une demande préalable. Les études de marché indiquaient même qu'il n'y avait aucune demande pour le produit. Pourtant, la marque a su créer son besoin et le produit devenu un succès planétaire. L'innovation de rupture, c'est cela : créer le besoin en travaillant sur les modèles mentaux.

« Il ne suffit pasd'inventer le savon. Encore faut-il convaincre les gens de se laver les mains ! » disait l'économiste Joseph Schumpeter. La création de la demande fait partie intégrante du travail de l'innovation de rupture.

OK. Mais cette innovation de rupture comporte bien évidemment des risques. No pain, no gain. Il est difficile de prévoir la réaction du marché à une innovation qui crée le besoin plutôt que de répondre à une expression existante. Les coûts de lancement peuvent être élevés, les investisseurs peuvent être réticents et les consommateurs sceptiques.

La solution pour se prémunir du risque ? Répondre à un besoin existant. C’est ce qu’on recommande à toutes les start-ups : ne pas s’évertuer à éduquer le marché ou pire, avoir de l'avance sur le marché, chose réservée aux mastodontes qui disposent des moyens nécessaires. Mais plutôt commencer par répondre à un besoin clairement identifié, segmenté, précis et documenté. En somme, ne pas réinventer la roue et faire du neuf avec du vieux.

Innovation incrémentale : juste un gagne petit ?

En procédantde la sorte, vous pouvez véritablement conduire une étude de marché, étudier les concurrents, vous en inspirer, etc. Ce qui est impossible dans le cas d’innovation de rupture, puisque comme l’indique son nom, vous êtes en décalage : aucun concurrent, aucun historique, aucun marché apparent à évaluer. Juste une page blanche, avec l’excitation – et les risques – que cela comporte.

Le dilemme entre répondre à un besoin pour monter un business qui marche et l'innovation de rupture qui implique de créer le besoin, est réel. On est tenté par la rupture, c’est chic, mais la prudence d’une réalité marché nous ramène aux basiques : répondre à un besoin qui existe. Dualité complexe, quand on parle d’innovation et qu’on doit mettre en place des stratégies claires.

Dualité qu'on retrouve jusque dans les dîners : l'un exposant son idée de rupture, l'autre répondant tristement "ça ne marchera jamais...". Ou un autre parlant d'un problème qu'on lui a confié, et l'autre disant : "oh ! ça c'est un business" !

Mais en réalité, il s'agit de deux choses très différentes, regroupées faussement sous le terme "innovation". Il y a l'innovation incrémentale, qui améliore un produit ou un service existant, en mettant une bonne couche de digital dessus bien souvent, répondant ainsi à un besoin existant. Et il y a l'innovation de rupture, qui crée le besoin en proposant quelque chose de nouveau, de différent, de révolutionnaire.

Les deux n’on trien à voir.

Elles ne sont mêmes pas sœurs. C’est comme lorsqu’on parle de livre : on met tout pèle même sous le même vocable. Littérature classique, roman de gare et développement personnel : l’objet est bien un livre en effet – le contenant – mais le contenu lui, est très différent. C’est la même chose avec l’innovation de rupture vs l’innovation incrémentale. Aucun lien. Mais des débats infinis puisqu'on ne parle jamais de la même chose...

L'innovation de rupture n'est pas la seule voie à suivre pour réussir une stratégie d’innovation. L'innovation incrémentale permet d'améliorer un produit ou un service existant pour répondre aux besoins des consommateurs de manière plus efficace. Elle peut également permettre de réduire les coûts de production et d'améliorer la rentabilité.

Elle a plus de chance de réussir, et au final - à défaut de marquer l'histoire (innovation de rupture, pêché d'ubris ?) elle sert vraiment à quelque chose.

Elle aura surtout la vertu d’enclencher une dynamique d’audace et d’agilité, prérequis indispensable pour envisager ensuite la « rupture ».

Et en fait, peut-être qu'à la fin c'est juste une affaire de style !

 

Alexis Botaya, conférencier créativité et innovation