IA & industries créatives : flipper ou se réjouir ? - [Episode 3/4]

La limite juridique avec le cas des médias : un jeu d’amour et de haine emblématique du débat. Entre recours en justice et accords inédits, l’industrie oscille entre protection des droits et course à l’innovation.

Point de vue

IA & industries créatives : flipper ou se réjouir ? - [Episode 3/4]

L’IA et la créativité : un sujet omniprésent, entre conférences, sommets et débats où tout et son contraire s'affrontent. Dans ce brouhaha, je préfère m’appuyer sur la science – psychologie cognitive, neurosciences, sociologie de la technologie – pour dépasser les opinions et revenir aux faits.

Voici l’épisode 3 sur 4, où l’on explore la dimension juridique de la créativité par intelligence artificielle : potentiellement une vraie limite dans le match IA x Humain.

Vous avez manqué les précédents ? Retrouvez l’épisode 1 surles bases scientifiques de la créativité et l’épisode 2 sur l’effet « moyenne » (voir en bas de cet article).

Une autre limite : le sujet juridique ?

On l’a dit, ce qui fait la force des IA, c’est leur capacité à s’entrainer sur un vaste corpus de données, impossible à examiner rapidement et efficacement par un cerveau humain.

L’autre problème (rempart ?) vient justement de ce corpus. De ce qui fait la force même de l’outil IA.

C’est la question de l'appropriation des données culturelles et créatives.

Les chercheurs en droit et en éthique, comme Luciano Floridi (l'un des plus importants théoriciens de la philosophie de l'information et éthique de l'informatique) soulignent les dangers d'une exploitation non éthique des données.

Si l’IA utilise des œuvres culturelles existantes sans compensation ou reconnaissance, cela pourrait mener – selon certains spécialistes - à une forme de colonisation culturelle numérique, où les grandes entreprises technologiques exploitent les connaissances et l’art issus de diverses. Une grande partie de ces données provient en effet des créations passées qui sont souvent issues de cultures et de patrimoines collectifs.

De fait, aucun consentement n’a été recueilli jusqu’alors. D’où la montée en puissance des questions sur l'appropriation des données sans compensation. C’est valable dans tous les domaines artistiques : musique, arts visuels, design, littérature, architecture, etc.

Et si je citais dans l'épisode 2 l’exemple du luxe, dans ce cas précis c’est l’industrie des médias qui est en première ligne, industrie pour laquelle je suis intervenu à de multiples reprises en tant que conférencier créativité et conférencier innovation.

Avec dans cette industrie un jeu d’amour et de haine très particulier qui brouille encore un peu plus les pistes.

Au moment même où OpenAI et Google réclament un assouplissement du droit d'auteur au nom du « fair use », arguant que la concurrence chinoise (avec DeepSeek), impose ce choix pour conserver la longueur d’avance technologie américaine…

L’exemple des médias : je t’aime moi non plus

Fin 2023, le groupe Axel Springer a annoncé la suppression de plusieurs postes de production au sein de Bild et Die Welt, misant sur l’automatisation pour recentrer l’activité sur la création journalistique. En parallèle, de nombreux journaux français, comme 20 Minutes, La Provence, Centre France et Sud-Ouest, ont traversé une année 2024 difficile, confrontés à des défis économiques et structurels.

Si Microsoft et OpenAI veulent utiliser notre travail pour un usage commercial, la loi les oblige à demander d’abord la permission

En 2023 et 2024, le New York Times a engagé des poursuites contre OpenAI et Microsoft, les accusant de violation des droits d’auteur. Le journal estime que l’utilisation de son contenu par ChatGPT représente un préjudice de plusieurs milliards de dollars et exige que ces entreprises demandent une autorisation avant toute exploitation commerciale de ses articles.

« Si Microsoft et OpenAI veulent utiliser notre travail pour un usage commercial, la loi les oblige à demander d’abord la permission », a dénoncé une porte-parole du journal américain.

Un préjudice estimé à « plusieurs milliards de dollars »​

Et pourtant, dans le même temps…

Des accords commencent à émerger entre l’IA et les groupes de presse. Principe de réalité oblige...

OpenAI a signé un partenariat avec ce même Axel Springer, lui garantissant une rémunération en échange de l’intégration de ses contenus dans les réponses de ChatGPT.

Les utilisateurs posant une question à ChatGPT recevront en réponse des résumés d’articles édités par les marques d’Axel Springer, notamment PoliticoBusiness Insider, et les quotidiens Bild et Die Welt.​

De même, en mars 2024, Le Monde et Prisma Media ont conclu un accord similaire avec OpenAI, permettant l’utilisation de leurs publications pour l’entraînement du modèle et l’apport d’informations d’actualité aux utilisateurs.

Le cas des médias, emblématique des enjeux pour toutes les industries

Le cas des media est spécifique : c’est le cas d’une industrie largement remise en question dans sa proposition de valeur fondamentale aujourd’hui, dans son originalité même – et donc dans sa partie« créative ». Avec des difficultés financières qui rendent le bras de fer d’autant plus difficile.

Mais ce que vit la presse doit constituer un sujet de réflexion pour toutes les industries à dimension créative, où l’originalité est au cœur de la proposition de valeur. Ces industries doivent rapidement réfléchir à l’impact de l'IA sur leurs héritages culturels et à la manière dont elles protégeront leurs créations contre une exploitation commerciale sans reconnaissance appropriée.

Episode 4 : comment augmenter les créatifs sans les remplacer (à venir)

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Cet article est le 3eme d’une série écrite début 2025 consacrée au match IA x Humain sur le sujet de la créativité. Si vous avez manqué un épisode, retrouvez-les ci-dessous

Episode 1 : Les composantes scientifiques de la créativité

Episode 2 : Effet moyenne et risque d’homogénéité