L’IA et la créativité : un débat incessant entre sommets, conférences et prises de position opposées. Plutôt que de surfer sur les opinions, je m’appuie sur la science – psychologie cognitive, neurosciences, sociologie de la technologie – pour apporter des faits concrets.
Place à l’épisode 4, qui explore comment l’IA peut augmenter la créativité humaine plutôt que la remplacer. Un mode d’emploi pratique pour en tirer le meilleur. Vous avez manqué les précédents ? L’épisode 1 pose les bases scientifiques de la créativité, l’épisode 2 explore l’effet "moyenne", et l’épisode 3 sur la limite légale.
Les créateurs « augmentés » par IA
Les chercheurs en IA, comme Margaret Boden (chercheuse en sciences cognitives au département d'informatique de l'Université du Sussex), ont proposé que l'IA pourrait soutenir la créativité humaine plutôt que de la remplacer.
C’est la thèse principale du moment – et qui fait plaisir à tout le monde.
Dans son ouvrage "Creativity and Artificial Intelligence", elle distingue plusieurs formes de créativité :combinatoire, exploratoire et transformative. L'IA, selon cette approche, excelle dans les formes combinatoires (recombiner des éléments existants) et exploratoires (explorer des solutions dans un cadre défini), mais elle peine à atteindre une créativité transformative, qui consiste à remettre en question les normes et à redéfinir le cadre même de la création.
L’IA comme assistant créatif
La justification qui est donnée par les tenants de cette approche est la suivante : parce que la « vraie » créativité s’enracine dans des dimensions humaines – intention, culture, émotions, contextes – qui demeurent difficiles à coder, l’IA du futur serait tout au plus un « assistant » créatif. Une sorte de composante d’augmentation des capacités du créatif humain.
l'IA ne sera jamais une source d'innovation radicale et totale, mais elle peut servir à enrichir le processus. Elle agirait comme une « muse » en proposant des pistes ou variations que l’humain va ensuite sélectionner, ajuster ou combiner.
Les recherches sur le sujet montrent d’ailleurs que l’alliance humain-machine donne des résultats plus originaux que la machine seule ou l’humain seul. L’IA fournit une « exploration » rapide et étendue, tandis que l’humain applique une « curation » et une sensibilité contextuelle.
Le rôle du créateur humain restera central. Pour l’instant seulement ?
Et demain ?
Plutôt que de chercher à remplacer les créateurs, l’IA s’orienterait donc vers un rôle de co-pilote (d’où le nom de l’IA de Microsoft que vous retrouvez sur votre suite Office : « CoPilot »),décuplant l’imagination humaine grâce à des suggestions inédites, des associations surprenantes et une analyse en temps réel des tendances. Cette créativité augmentée viendrait stimuler l’innovation plutôt que de l’uniformiser. C’est en tout cas ce que tout le monde espère.
Mais les recherches se poursuivent. Des travaux en cours explorent la création d’une IA plus contextuelle et intentionnelle, capable de mieux saisir les enjeux culturels et sociaux de ses productions.
L’objectif ?Dépasser la simple imitation statistique pour une compréhension plus fine du message et de l’émotion sous-jacente. Certains laboratoires, notamment ceux travaillant sur l’IA forte, visent à doter la machine d’une forme de « compréhension » du monde, ouvrant la porte à des créations plus nuancées et originales.
Le rêve des démiurges qui veulent refaire le monde grâce à a machine.
Les enjeux éthiques et la traçabilité
Enfin, l’éthique et la traçabilité sont devenues des priorités de recherche : garantir la paternité des œuvres, distinguer le contenu généré par IA et prévenir les abus (deepfakes, plagiats, manipulations).
Des outils comme ceux qui sont proposés par des entreprises à la pointe de leur secteur aident déjà certaines industries à identifier les fake, les contenus générés par IA. Non pas tant pour les supprimer, mais à minima juste pour les identifier, et informer les utilisateurs. Pour leur laisser le choix.
IA et créativité : révolution ou mirage ?
L’IA pourrait bien devenir un véritable partenaire créatif. De quoi en inquiéter certains, de façon légitime, et en fasciner d’autres. Une chose est sûre : le changement est en marche. Reste à voir qui saura s’adapter.
Une adaptation qui semble déjà en cours dans le monde du cinéma par exemple : dans une interview récente (cet article est écrit mi-mars2025) , le réalisateur Joe Russo ("Avengers: Endgame") affirme que l'utilisation de l'IA est courante à Hollywood, bien que rarement admise, et estime que cette technologie est particulièrement adaptée à la créativité.
Raison pour laquelle, avec son frère, il a investi dans un studio high-tech visant à développer des outils IA destinés à soutenir les artistes. Leur objectif : créer des actifs numériques réutilisables pour divers médias, tout en veillant à ce que l'IA serve à améliorer le processus créatif sans remplacer les artistes humains.
https://www.ign.com/articles/avengers-director-joe-russo-says-ai-was-used-for-voice-modulation-in-netflix-film-the-electric-state-insists-ai-is-best-suited-towards-creativity
Faut-il donc s’attendre à un bouleversement historique ?Peut-être. Mais l’histoire nous l’a prouvé : les grandes industries créatives –luxe, design, médias, musique – ont survécu à toutes les révolutions technologiques.
L’IA sera-t-elle donc LA rupture ultime qu’attendent les tech-optimistes ? Ou juste une nouvelle vague à surfer ? La réponse dans les 2 à 3 ans qui viennent maximum…
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Cet article est le 4eme et dernier d’une série écrite début 2025 consacrée au match IA x Humain sur le sujet de la créativité. Si vous avez manqué un épisode, retrouvez-les ci-dessous
Episode 1 : Les composantes scientifiques de la créativité
Episode 2 : Effet moyenne et risque d’homogénéité
Episode 3 : La limite juridique : vraie contrainte pour l’IA ?